Le tutu

Qu’est-ce qu’un tutu ?

Le tutu est l’objet le plus emblématique de la danse classique, il définit la silhouette de la ballerine. Il se compose d’une superposition de onze ou treize rangées de mousseline, de tulle ou de tarlatane cousues de la plus courte à la plus longue sur la « trousse » (la culotte) de la danseuse. Au-dessus de cette superposition, on trouve un empiècement d’environ six centimètres, qui vient faire le lien avec le bustier et ainsi composer le costume de la ballerine, auquel viendra peut-être s’ajouter un collant, une coiffe, des bijoux, des accessoires et ses pointes.

Cet élément de costume apparaît en 1832, d’abord sous forme de jupon de mousseline — dit « tutu romantique » — à l’Opéra de Paris, dans La Sylphide1.

 

Maria Taglioni dans le rôle principal de La Sylphide, anonyme, 1832. Estampe. Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Avant cela, il faut remonter à l’époque de Louis XIV pour retrouver trace d’un lointain cousin du tutu, le « tonnelet », un genre de caleçon-jupe relativement court dont la forme rappelle celle de la rhingrave2 : bouffant et évasé, il servait à dissimuler la culotte des danseurs et n’était réservé qu’aux hommes. A la même époque, les danseuses portaient des « paniers », qui petit à petit diminueront en envergure pour disparaître complètement au profit des tutus.

 

Costume d’homme d’inspiration XVIIe siècle porté par Thierry Hancisse pour le rôle de Mascarille dans Les Précieuses Ridicules, texte de Molière. Mise en scène de Jean-Luc Boutté. Décors et costumes de Louis Bercut. Paris, Comédie-Française, 1993.
Coll. CNCS / Comédie-Française, D-CF-1091L © CNCS / Pascal François

Cette évolution du vestiaire des danseurs de ballet s’explique par l’évolution des techniques de danse : à mesure que les mouvements et les rythmes s’intensifient, que les chorégraphies et les déplacements se multiplient, le costume doit s’adapter, perdre en lourdeur de tissu et de décoration, mais aussi perdre en ampleur pour laisser le corps bouger plus librement et permettre au public de voir les jeux de jambes, de bras, la complexité des sauts, etc.

Les différents types de tutu

Le tutu cerclette : datant des années 1940, de tradition française, c’est un tutu à la forme plateau, avec une cerclette intégrée dans une bande de tulle froncée cousue au centre des volants.

Le tutu galette : de tradition anglaise, c’est un tutu à la forme de plateau, plus dense et donc plus lourd en tulle. Plus grand que le tutu cerclette, qui donne une amplitude plus large au bras de la danseuse.

Costume porté par Noëlla Pontois pour le rôle de Nikiya dans l'acte III des Ombres de La Bayadère, chorégraphie de Rudolf Noureev d'après Marius Petipa. Musique de Ludwig Minkus. Costumes de Martin Kamer. Création en 1974 à l'Opéra national de Paris, Palais Garnier.
Coll. CNCS / Opéra national de Paris, D-ONP-74BA002 © CNCS / Pascal François

 - Le tutu romantique : ce tutu est le plus proche du jupon, c’est le plus long des tutus, arrivant jusqu’à la cheville. Il possède également moins d’épaisseur de tulle que les tutus plateaux.

Le tutu à l’italienne : tutu basé sur le même principe que le tutu plateau mais dont le tulle est coupé plus court. Le tutu est donc plus court que l’amplitude des bras de la danseuse.

Le tutu classique : même apparence que le tutu romantique mais plus court, longueur genoux.

Le tutu Degas : en hommage aux tableaux représentant des ballerines du peintre Edgar Degas (1834-1917). Ce tutu a la même apparence que le tutu romantique mais plus court, longueur mi-mollet.

 

La classe de danse, Edgar Degas, 1871-74. Huile sur toile. 85 cm x 75 cm. Coll. Musée d’Orsay, Paris, RF1976 
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

La fabrication du tutu

Le costume de la ballerine s’apparente à un body : c’est sur la trousse (la culotte) que la costumière vient coudre les onze à treize épaisseurs de tulle qui constituent le tutu. Par la suite, il faudra les « baguer », c’est-à-dire les coudre à grands points lâches pour donner sa forme caractéristique de « galette » au tutu. Ensuite, la trousse est cousue à l’empiècement (d’environ six centimètres), lui-même cousu au bustier.

C’est à la suite de ce montage que l’on pourra venir apposer les décorations telles que des perles, sequins et autres broderies ou pierres brillantes, qui viendront donner du corps au costume et transmettre le caractère du personnage.

Quel avenir pour le tutu ?

Sur la scène contemporaine le tutu est relativement peu présent ou détourné. C’est un objet porteur d’histoire, qui incarne une certaine forme de théâtre d’élite, celui des scènes d’opéra. Il peut être perçu comme désuet, issu d’une tradition classique, qui a parfois du mal à se renouveler, à se démocratiser et à s’adapter aux questions de notre époque pour parler à tous. La ballerine, c’est-à-dire la femme sur scène, reste figée dans un carcan esthétique, une représentation très serrée du rôle féminin : jeune, blanche et très mince :

 « Marqué par la pensée allemande, l’apogée du ballet romantique voit naître le triomphe de la Ballerine et le mythe d’un modèle de corps féminin désincarné. Instrument, marionnette ou fétiche éthéré au service d’une esthétique prise en charge et définie par un pouvoir chorégraphique essentiellement masculin : de l’administrateur au maître de ballet, en passant par l’abonné, le librettiste, le musicien et le chorégraphe. Si l’on vénère la ballerine, qui tient le haut de l’affiche, la lemme3 en tant qu’être désirant a dû mourir pour apparaître sur scène, « joie morte », ou « danseuse Chrétienne » qui « sous la blancheur du linceul se meut avec une volupté morte » (Théophile Gautier). »4

 Les évolutions plurielles des courants de danse qui ont abouti à la scène contemporaine ont amené de nouveaux états de corps, d’être à la scène, ouvrant des champs plus larges d’expressions et de représentation des corps. Les références à la ballerine et à son tutu sont davantage utilisées pour faire dire quelque chose : déformer le tutu5, le brûler6, le couper7, en déstructurer les proportions8… s’adaptant ainsi au récit, à l’esthétique et à la mise en scène du metteur en scène contemporain.

Tutu carré porté dans Les Rats, pièce pour douze danseurs chorégraphiée par Régine Chopinot.
Costumes de Jean-Paul Gaultier. Lumières de Gérard Boucher. Musique de Parazite.
Création du Ballet Atlantique Régine Chopinot à l'initiative du Groupe de recherche de l'Opéra de Paris.
Nevers, Maison de la culture, 09/11/1984.
Coll. CNCS / Opéra national de Paris, D-ONP-84RA003 © CNCS / Jean Tholance

Le tutu reste un objet de fantasme, de création et un outil de travail pour les arts de la scène. On continuera de le voir sur les scènes classiques et contemporaines – dans tous ses états – car c’est un archétype de la danse, de la féminité et du classicisme, qui ne demande qu’à évoluer ou être détourné.

 

Affiche de l’exposition « Couturiers de la danse, de Chanel à Versace » présentée au CNCS du 30 novembre 2019 au 1er novembre 2020. Costumes de Viktor & Rolf pour « Shape », chorégraphie de Jorma Elo. Dutch National Ballet, Amsterdam, 2014.
© Erwin Olaf. Conception : Atalante-Paris
 
 
 
 
[1]Martine Kahane, Delphine Pinasa, Le Tutu, petit guide, Editions Flammarion, Paris, 2000. p.7
[2] La rhingrave est une jupe-culotte du vestiaire masculin du XVIIe siècle, elle se porte taille basse et s’arrête au niveau des genoux. Sa forme ample, voir bouffante, rappelle celle du tonneau.
[3] Du grec ancien λέμμα, lémma (« pelure, enveloppe »), Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, édition de F. Vieweg, Paris, 1881–1902.
[4] Wavelet Christophe, Launay Isabelle, « post-tutu », Vacarme, 1997/4-5 (n° 4 - 5), p. 60-61. DOI : 10.3917/vaca.004.0060. URL : https://www.cairn.info/revue-vacarme-1997-4-page-60.htm
[5] Les Rats, chorégraphie de Régine Chopinot, costumes de Jean-Paul Gaultier, création des Ballets Atlantique Régine Chopinot à l’initiative du Groupe de Recherche de l’Opéra de Paris. Nevers, 1984. Tutus carré, rond et triangulaire en tulle rouge et noir. T-shirt et culotte en jersey rouge et dentelle noire, perruque en crin rouge et noir, collant en résille bordé de dentelle.
[6] Hiatus, chorégraphie de Lionel Hoche, costumes de Sylvie Skinazi, création des Ballets de Monte-Carlo, 1993. Costume pour une danseuse : bustier corset en satin rose avec effet brûlé, mousseline au décolleté et manche, jupon, crinoline avec volants mousseline, col en satin rose, perruque chignon.
[7] Shape (Programme Dutch Doubles), Chorégraphie de Jorma Elo, costumes de Victor & Rolf, création du Dutch National Ballet. Amsterdam, 2014. Costumes pour quatre danseuses : tutus avec bustiers en lycra blanc et jupons en tulle blanc découpé, ornements de strass sur certains.
[8] Carbon Life, chorégraphie de Wayne McGregor, costumes de Gareth Pugh, création du Royal Ballet. Opéra Royal de Londres, 2012. Bodies en jersey lycra et viscose noir, appendices géométriques au bras, jambes, bustes et tailles en polycarbonate recouvert de coton noir, cagoule en nylon et élasthanne noir, masque et coiffe en tulle et polycarbonate recouvert de coton noir avec chausson de pointes à l’intérieur.

Le tutu dans les collections :