Shéhérazade

Les Mille et Une Nuits

La saison de 1909 a permis aux Ballets russes d’acquérir leurs lettres de noblesses et de se produire sur la scène prestigieuse de l’Opéra de Paris. C’est ainsi que le 4 juin 1910 le ballet Shéhérazade1, danse chorégraphique en un acte, sur une musique de Nicolaï Rimski-Korsakov, est présenté au public parisien.  

Ce ballet raconte l’histoire du sultan Shariar (Alexeï Boulgakov) qui suspecte sa favorite Zobéide (Ida Rubinstein) de lui être infidèle. Alors qu’il feint de partir chasser avec son frère, les femmes du harem organisent une orgie avec des esclaves, dont l’esclave favori de Zobéide (Valsav Nijinsky). L’orgie est interrompue par le retour du sultan et le massacre des convives.  

Inspiré des contes orientaux Les Mille et Une Nuits, ce ballet ne comporte aucun personnage du nom de Shéhérazade, mais ce titre fait référence à la conteuse des récits et évoque à lui seul tout l’imaginaire du merveilleux oriental. 

La création de ce ballet a sûrement été provoquée par la vague d’orientalisme qui a suivi la publication de la nouvelle traduction du recueil de contes orientaux Les Mille et Une Nuits, réalisée par Joseph-Charles Mardrus (1868-1949) au début du XXe siècle. 

Le ballet Shéhérazade est une adaptation du poème symphonique composé par Nicolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) en 1887-1888. Cette pièce orchestrale n’était pas destinée à être dansée et les morceaux sont réaménagés.  Alors même que ce ballet n’a pas été représenté en Russie, celui-ci y fait scandale en raison de l’adaptation trop libre et ne respectant pas l’œuvre du compositeur. Il semblerait que ce soit le décorateur Alexandre Benois (1870-1960) qui soit à l’origine de l’adaptation de l’œuvre du compositeur Rimski-Korsakov. Cependant le livret est signé par Léon Bakst et Michel Fokine. Ce dernier avait depuis longtemps un intérêt pour la culture orientale dont il percevait le caractère féérique. 

Comoedia Illustré (n°19) – 1er juillet 1911 (p.618). Extraits, photographies Bert.
Coll. CNCS

 

L’Orient merveilleux

Pour la création du ballet Shéhérazade, la réalisation des costumes et des décors est confiée à Léon Bakst. Celui-ci est fasciné par le merveilleux oriental. Bakst utilise une palette de couleurs puissantes et chatoyantes afin de transmettre l’idée de cet Orient imaginaire : le bleu, le vert et le rouge sont des couleurs omniprésentes. 

Le décor représente l’intérieur d’un harem. Un large rideau vert et bleu recouvre le plafond, auquel sont pendus des lampes argentées. Des tapis de Boukhara rouges aux motifs géométriques recouvrent le sol. 

Comoedia Illustré, 20 décembre 1913 (n°6). Le secret du harem.
Coll. CNCS

Pour ce qui est des costumes, Bakst cherche à créer une harmonie avec les décors et il utilise les mêmes couleurs intenses. Il choisit des tissus soyeux et transparents qui laissent apercevoir les jambes des danseuses2. Ces étoffes transmettent l’ambiance érotique du harem. Lors de la première représentation du ballet, les machinistes jugent la pièce obscène en raison des costumes translucides, ce qui provoque un sentiment de honte chez Bakst3. Pour le rôle de l’esclave favori, le corps de Nijinsky est maquillé en gris-bleu, et est paré de nombreux bijoux dorés. Le danseur est vêtu d’un large pantalon serré aux chevilles, vêtement qui est utilisé au théâtre depuis la Renaissance pour évoquer l’Orient. 

Le rideau de scène est, quant à lui, réalisé par l’artiste Valentin Serov (1865-1911), ami de Léon Bakst. Ce rideau est composé de plusieurs scènes qui se superposent, notamment une scène de chasse avec des fauves et une autre scène où l’on voit trois femmes du harem sur la terrasse d’une forteresse. 

 

« Jamais rien vu d’aussi beau »

Représenté le même soir que Carnaval et Le Festin, Shéhérazade provoque un fort enthousiasme. L’interprétation d’Ida Rubinstein est saluée par la critique. Tout comme celle de Valsav Nijinsky, dans le rôle de l’esclave d’or, amant de Zobéide, personnage doué d’une grande agilité, souvent comparé à un félin. 

Pour le périodique Comoedia Illustré, Shéhérazade est « un enchantement, une féerie de couleurs chaudes et somptueuses qui résuma tout le prestige de l’art asiatique et les évocations des Milles et une nuits »4. Dans une lettre à Raynaldo Hahn, Marcel Proust écrit à propos de ce ballet qu’il n’a « jamais rien vu d’aussi beau »5. Ce spectacle est le résultat de six semaines de travail et marque pour la première fois une synthèse entre danse, action dramatique, musique et art pictural. 

En 1951, Shéhérazade entre au répertoire de l’Opéra de Paris et est repris par le maître de ballet Serge Lifar. Celui-ci fait appel à l’ancien danseur des Ballets russes Nicolas Zvereff, qui a dansé dans les premières représentation de ce ballet. Pour les représentations de 1951, les costumes et les décors sont remontés à l’identique, d’après les dessins de Léon Bakst. Les costumes du ballet Shéhérazade conservés au CNCS sont issus de cette reprise. 

La première représentation de Shéhérazade rend Léon Bakst célèbre dans tout Paris et son style influencera la mode parisienne. Les couleurs vives et les motifs orientaux vont rapidement être utilisés par les couturiers de l’époque et entraînera des répercussions dans le milieu de la mode jusqu’à nos jours. 

 

1 On retrouve aussi l’orthographe Schéhérazade.
2 Bibliothèque de l'Opéra de Paris, fonds Bakst, pièce 9, cité par Guillaume de Sardes In Nijinsky, sa vie, son geste, sa pensée. Paris, Hermann éditeurs, 2006, p.68.
3 Idem.
4 Comoedia Illustré n°18 (15 juin 1910) p.519
5 Guillaume de Sardes, Nijinsky : Sa vie, son geste, sa pensée. Paris, Hermann, 2006, p.188.   

Sources : 

- Costumes des Milles et une nuits [exposition, Moulins, Centre national du costume de scène, Moulins, 17 mai-11 novembre 2008], Martine Kahane. Saint-Pourçain-sur-Sioule, Bleu autour, 2008.
- La compagnie des Ballets Russes, Natalia Smirnova. Paris, CNRS Éditions, 2009. 
- Nijinsky, sa vie, son geste, sa pensée, Guillaume de Sardes. Paris, Hermann éditeurs, 2006
 
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